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Les autorités tunisiennes arrêtent un chercheur français sur ordre de la justice militaire

Les autorités tunisiennes ont arrêté et placé en détention le Français Victor Dupont, 26 ans, sur ordre de la justice militaire alors qu’il menait des recherches sociologiques sur la jeunesse tunisienne.

Le chercheur français Victor Dupont a été interpellé le samedi 19 octobre dans la ville d’El Kram (banlieue nord de Tunis), où 18 policiers ont fait irruption dans le petit appartement qu’il louait. Il était accompagné de plusieurs personnes, dont une amie franco-tunisienne, qui a été temporairement détenue avant d’être relâchée, puis à nouveau arrêtée et placée en détention à la prison pour femmes de Manouba.

Accusation d’« atteinte à la sécurité de l’État » :

Victor Dupont est doctorant en science politique affilié à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), une unité mixte entre l’Université d’Aix-Marseille et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ses recherches portent sur l’histoire, la sociologie, la géographie, l’anthropologie, le droit et la science politique dans les mondes arabe et islamique. Il menait en Tunisie une « étude sociologique » de routine sur les diplômés au chômage.

Ce travail s’inscrit dans un programme scientifique financé par le Conseil européen de la recherche (CER) et ne semble pas être de nature politique ou lié à l’opposition au régime. Dupont avait passé plusieurs semaines à Jendouba (nord-ouest de la Tunisie) avant de rentrer en France, puis de revenir en Tunisie dans le cadre de son travail académique.

Le 19 octobre 2014, Dupont a été placé en garde à vue par la Garde nationale, avant d’être transféré le 21 octobre au tribunal militaire sous l’accusation d’« atteinte à la sécurité de l’État ». Il est actuellement détenu à la prison de Mornaguia, faute de place dans la prison militaire. À noter que cette prison accueille depuis février 2023 plus de 60 prisonniers politiques, en majorité des opposants au président Kais Saied.

Les parents de Victor Dupont sont arrivés à Tunis dans la soirée du 28 octobre, où plusieurs rencontres ont eu lieu avec le soutien de l’ambassadrice Anne Guéguen, qui suit de près les développements de cette affaire.

L’arrestation d’un ressortissant français non binational est un avertissement aux étrangers travaillant en Tunisie, qu’ils soient universitaires ou journalistes. Le ministère tunisien de la Justice avait déjà averti la presse internationale, avant les élections présidentielles du 6 octobre, qu’elle serait soumise aux mêmes sanctions que les Tunisiens en cas de publication de « fausses nouvelles ».

Les ONG, en particulier celles recevant des financements étrangers, font également face à des restrictions croissantes. Plusieurs activistes de la société civile impliqués dans les questions migratoires ont été emprisonnés.

Depuis les mesures exceptionnelles prises par le président Kais Saied le 25 juillet 2021, la Tunisie connaît des changements radicaux, s’éloignant des valeurs occidentales. Les grands pays européens n’ont pas commenté sa réélection en octobre dernier, où il a obtenu 90,7 % des voix avec un taux d’abstention de 72 %.

Lien vers le chercheur Victor Dupont :
https://www.iremam.cnrs.fr/fr/dupont-victor

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La Tunisie n’est plus l’exception arabe qui a inspiré le monde en 2011 avec une révolution héroïque qui a renversé le pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali, qui a régné pendant près de 23 ans après avoir pris le pouvoir le 7 novembre 1987, lors d’un coup d’État contre Habib Bourguiba.

Dans une démarche similaire et peut-être plus dangereuse, dans la nuit du 25 juillet 2021, le président tunisien Kais Saied a réalisé un “coup d’État constitutionnel” conformément à son interprétation personnelle de l’article 80 de la Constitution révolutionnaire de 2014, annonçant qu’il avait pris une série de mesures exceptionnelles en raison du “danger imminent” qui menace la Tunisie, sans fournir de détails ni de raisons.

Conformément à ces mesures, Saied a limogé le gouvernement et le premier ministre Hichem Mechichi qui était présent au Conseil de sécurité nationale ce soir-là au palais de Carthage, et a affirmé avoir contacté le président du Parlement Rached Ghannouchi (chef du parti Ennahdha) pour le consulter conformément à ce qui est stipulé par la constitution, une affirmation que Ghannouchi a démenti puisque l’appel était général et ne comprenait rien au sujet des mesures exceptionnelles ou d’une quelconque consultation sur la question. Le président a suspendu le Parlement, puis l’a dissous en mars 2022, et ce, simplement quelques jours après avoir admis publiquement qu’il n’avait pas les capacités légales de ce faire, en réponse à une session plénière en ligne du Parlement lors de laquelle les députés ont abrogé les décrets publiés par Monsieur Saied depuis son coup d’État.

Non seulement Saied a cherché à contourner ses pouvoirs et les articles de la Constitution, qu’il a juré de protéger devant l’Assemblée des Représentants du Peuple, mais il a également démis de ses fonctions et modifié la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature après avoir redéfini le pouvoir judiciaire comme une “fonction” plutôt que comme une autorité indépendante. Il a également remplacé les membres de l’Instance Supérieure pour l’Indépendance des Élections en vue du référendum qu’il a organisé pour voter sur une constitution qu’il a rédigée lui-même après avoir rejeté les propositions du comité de rédaction qu’il avait lui-même nommé. Des élections législatives ont ensuite été organisées en deux tours, pour lesquelles le taux de participation n’a pas dépassé 8 % du nombre total d’électeurs, la Commission électorale annonçant par la suite qu’il avait atteint 11 %, soit le taux de participation le plus faible en Tunisie et dans le monde.

Le 11 février, le régime du président Saied a lancé une campagne de protestation qui n’a pas cessé depuis, contre des dirigeants politiques, des personnalités des médias, des journalistes, des juges et des hauts fonctionnaires, pour des accusations de “complot contre la sécurité de l’État et d’acte offensant contre le président de la République”, en plus d’autres accusations qui ont été transmises au parquet militaire, ce qui amène à s’interroger sur l’implication de l’armée tunisienne dans les actions entreprises par Saied.

Les arrestations arbitraires ont été entachées de plusieurs vices de procédure, ce qui a suscité des critiques de la part d’organisations internationales et d’observatoires de premier plan dans le domaine des droits de l’homme. Les normes relatives à la durée et aux conditions de litige et de détention n’ont pas été respectées. Les poursuites et le harcèlement se sont parfois étendus aux familles des détenus, et aucune preuve, et dans de nombreux cas, aucune accusation, n’a été présentée contre eux.

En outre, les syndicats et les partis politiques continuent d’être soumis à un harcèlement et à des restrictions, constants. Monsieur Saied continue de cibler tous les “corps intermédiaires” en les accusant de “collaboration” ou de “trahison”. Les associations de la société civile ont également fait l’objet de poursuites, d’arrestations arbitraires et de privation de représentation, dans un contexte de violence croissante au sein de la société due à l’adoption par les autorités de discours et de rhétorique racistes et discriminatoires incitant aux luttes intestines et portant atteinte à la dignité humaine.

Compte tenu de ce qui précède, nous, soussignés, demandons ce qui suit :

  1. La libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus politiques. Nous demandons également aux autorités tunisiennes de reconnaître les traités nationaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’elles ont ratifiés.
  2. Nous demandons aux autorités tunisiennes de cesser de démanteler la démocratie naissante et de mettre fin aux procès et aux poursuites inéquitables contre les opposants politiques au régime et contre toute personne qui le critique.
  3. Nous appelons tous les militants et observateurs à rejoindre le mouvement national pour le rétablissement de la démocratie et la fin du régime autoritaire qui a ramené la Tunisie au despotisme, à l’injustice et aux violations des droits et des libertés.