Skip links

Peines de 22 ans de prison pour des leaders politiques et défenseurs des droits humains : un nouveau recul des droits en Tunisie

Le 20 juin 2025, la Chambre criminelle spécialisée en affaires de terrorisme auprès du Tribunal de Première Instance de Tunis a prononcé, par contumace, des peines de 22 ans de prison ferme à l’encontre de :

  • Moncef Marzouki, ancien président de la République,
  • Abdelrazak Kilani, ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats,
  • Imed Daimi, ancien chef de cabinet présidentiel et ex-député,
  • Abdennacer Naït Liman et Adel Mejri, défenseurs des droits humains.

Les accusés ont été renvoyés devant la justice pour des chefs d’accusation liés à des « crimes terroristes » et à un « complot contre la sûreté de l’État », sans avoir pu exercer leur droit à la défense ni être physiquement présents devant le tribunal. Il s’agit de l’une des affaires les plus emblématiques visant des figures de premier plan de l’opposition au cours des dernières années, dans un contexte de répression croissante des voix dissidentes.

Contexte de l’affaire :

Cette affaire s’inscrit dans une escalade de poursuites politiques visant des personnalités influentes de la scène politique tunisienne, en particulier celles ayant joué un rôle central dans la période post-révolutionnaire et s’étant distinguées par leur engagement en faveur des droits humains et des libertés civiles.

  • Moncef Marzouki, premier président élu démocratiquement après la révolution (2011–2014), est resté actif dans l’opposition après son mandat, appelant explicitement à un retour à l’ordre constitutionnel après les décisions du 25 juillet 2021.
  • Imed Daimi, ancien haut responsable à la présidence et au Parlement, s’est illustré dans des actions de lutte contre la corruption, notamment à travers la création de l’« Observatoire de la Transparence », qui a permis de mettre au jour de nombreux cas de corruption.
  • Abdelrazak Kilani est l’une des voix les plus respectées du pays dans le domaine des droits humains, ayant occupé des postes syndicaux, gouvernementaux et diplomatiques avant d’être visé par des affaires à connotation politique.

Selon l’Observatoire pour la liberté en Tunisie, cette affaire a été directement motivée par l’activisme des accusés dans le domaine des droits humains, notamment par leur travail de documentation et de dénonciation des violations judiciaires, en particulier celles relatives au droit à un procès équitable. Ces actions auraient provoqué la colère des autorités politiques et judiciaires. Ce renvoi devant la justice intervient dans un climat de régression institutionnelle sévère depuis que le président Kaïs Saïed s’est accaparé tous les pouvoirs en 2021, marqué par une persécution accrue des opposants politiques, des défenseurs des droits humains et des journalistes. Il est également important de souligner que la majorité de ces poursuites reposent sur des accusations vagues, fondées sur la loi antiterroriste, sans preuves réelles d’intention ou d’actes criminels, ce qui renforce les craintes concernant l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire pour régler des comptes politiques.

Un procès par contumace sans garanties :

L’Observatoire pour la liberté en Tunisie affirme que ce procès n’a pas respecté les garanties minimales d’un procès équitable, notamment l’absence des accusés et de leurs avocats, et l’impossibilité de répondre aux charges ou de contester les preuves devant un tribunal indépendant et public.

L’émission de peines lourdes par contumace, dans un contexte d’exclusion des opposants et de fermeture de l’espace politique, ne peut être dissociée du climat général de dégradation des libertés et de l’indépendance de la justice.
Plusieurs rapporteurs de l’ONU ainsi que des ONG internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International ont déjà exprimé leur inquiétude face à l’utilisation systématique de l’appareil judiciaire contre les opposants politiques, en particulier lorsque des accusations de terrorisme ou de complot sont utilisées pour criminaliser des activités pacifiques et politiques.

L’Observatoire pour la liberté en Tunisie appelle à :

  • L’annulation immédiate des condamnations prononcées contre Moncef Marzouki et les autres défenseurs des droits, et la réouverture du procès dans des conditions garantissant un procès équitable, conforme aux normes légales et internationales ;
  • La fin de la persécution des opposants politiques sous prétexte de terrorisme ou de complot, en particulier ceux qui mènent des activités pacifiques dans les sphères politique et civile ;
  • La protection de l’indépendance du pouvoir judiciaire, en le mettant à l’abri de toute instrumentalisation politique ;
  • Le respect du principe de non-impunité, à travers l’ouverture d’enquêtes sur les violations judiciaires et des droits humains commises au nom de la loi ;
  • La mise en place d’un mécanisme international indépendant de surveillance des procès politiques en Tunisie, à travers des missions d’enquête ou la présence d’observateurs juridiques impartiaux.

Partager

Plus d'articles

Agissez et contribuez à mettre fin à l'injustice !

Pétition en ligne : Liberté pour les prisonniers d’opinion et les militants en Tunisie !

La Tunisie n’est plus l’exception arabe qui a inspiré le monde en 2011 avec une révolution héroïque qui a renversé le pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali, qui a régné pendant près de 23 ans après avoir pris le pouvoir le 7 novembre 1987, lors d’un coup d’État contre Habib Bourguiba.

Dans une démarche similaire et peut-être plus dangereuse, dans la nuit du 25 juillet 2021, le président tunisien Kais Saied a réalisé un “coup d’État constitutionnel” conformément à son interprétation personnelle de l’article 80 de la Constitution révolutionnaire de 2014, annonçant qu’il avait pris une série de mesures exceptionnelles en raison du “danger imminent” qui menace la Tunisie, sans fournir de détails ni de raisons.

Conformément à ces mesures, Saied a limogé le gouvernement et le premier ministre Hichem Mechichi qui était présent au Conseil de sécurité nationale ce soir-là au palais de Carthage, et a affirmé avoir contacté le président du Parlement Rached Ghannouchi (chef du parti Ennahdha) pour le consulter conformément à ce qui est stipulé par la constitution, une affirmation que Ghannouchi a démenti puisque l’appel était général et ne comprenait rien au sujet des mesures exceptionnelles ou d’une quelconque consultation sur la question. Le président a suspendu le Parlement, puis l’a dissous en mars 2022, et ce, simplement quelques jours après avoir admis publiquement qu’il n’avait pas les capacités légales de ce faire, en réponse à une session plénière en ligne du Parlement lors de laquelle les députés ont abrogé les décrets publiés par Monsieur Saied depuis son coup d’État.

Non seulement Saied a cherché à contourner ses pouvoirs et les articles de la Constitution, qu’il a juré de protéger devant l’Assemblée des Représentants du Peuple, mais il a également démis de ses fonctions et modifié la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature après avoir redéfini le pouvoir judiciaire comme une “fonction” plutôt que comme une autorité indépendante. Il a également remplacé les membres de l’Instance Supérieure pour l’Indépendance des Élections en vue du référendum qu’il a organisé pour voter sur une constitution qu’il a rédigée lui-même après avoir rejeté les propositions du comité de rédaction qu’il avait lui-même nommé. Des élections législatives ont ensuite été organisées en deux tours, pour lesquelles le taux de participation n’a pas dépassé 8 % du nombre total d’électeurs, la Commission électorale annonçant par la suite qu’il avait atteint 11 %, soit le taux de participation le plus faible en Tunisie et dans le monde.

Le 11 février, le régime du président Saied a lancé une campagne de protestation qui n’a pas cessé depuis, contre des dirigeants politiques, des personnalités des médias, des journalistes, des juges et des hauts fonctionnaires, pour des accusations de “complot contre la sécurité de l’État et d’acte offensant contre le président de la République”, en plus d’autres accusations qui ont été transmises au parquet militaire, ce qui amène à s’interroger sur l’implication de l’armée tunisienne dans les actions entreprises par Saied.

Les arrestations arbitraires ont été entachées de plusieurs vices de procédure, ce qui a suscité des critiques de la part d’organisations internationales et d’observatoires de premier plan dans le domaine des droits de l’homme. Les normes relatives à la durée et aux conditions de litige et de détention n’ont pas été respectées. Les poursuites et le harcèlement se sont parfois étendus aux familles des détenus, et aucune preuve, et dans de nombreux cas, aucune accusation, n’a été présentée contre eux.

En outre, les syndicats et les partis politiques continuent d’être soumis à un harcèlement et à des restrictions, constants. Monsieur Saied continue de cibler tous les “corps intermédiaires” en les accusant de “collaboration” ou de “trahison”. Les associations de la société civile ont également fait l’objet de poursuites, d’arrestations arbitraires et de privation de représentation, dans un contexte de violence croissante au sein de la société due à l’adoption par les autorités de discours et de rhétorique racistes et discriminatoires incitant aux luttes intestines et portant atteinte à la dignité humaine.

Compte tenu de ce qui précède, nous, soussignés, demandons ce qui suit :

  1. La libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus politiques. Nous demandons également aux autorités tunisiennes de reconnaître les traités nationaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’elles ont ratifiés.
  2. Nous demandons aux autorités tunisiennes de cesser de démanteler la démocratie naissante et de mettre fin aux procès et aux poursuites inéquitables contre les opposants politiques au régime et contre toute personne qui le critique.
  3. Nous appelons tous les militants et observateurs à rejoindre le mouvement national pour le rétablissement de la démocratie et la fin du régime autoritaire qui a ramené la Tunisie au despotisme, à l’injustice et aux violations des droits et des libertés.