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Trois ans de prison et lourdes amendes contre Ridha Charfeddine : absence de proportionnalité et politisation de la justice financière

La sixième chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis, spécialisée dans les affaires de corruption financière, a prononcé une peine de trois ans de prison à l’encontre de l’homme d’affaires et ancien député du parlement dissous, Ridha Charfeddine, ainsi que des amendes dépassant 72 millions de dinars dans une affaire liée à des gains financiers réalisés à l’étranger sans autorisation de la Banque Centrale.
L’affaire découle d’une plainte déposée par le parquet près du Pôle judiciaire économique et financier, l’accusant de violations liées aux dépenses et financements à l’étranger sans autorisation légale.

Ridha Charfeddine est une figure importante des milieux économiques et politiques. Il a présidé le club de l’Étoile Sportive du Sahel et siégé à l’Assemblée des Représentants du Peuple avant sa dissolution par décret présidentiel du 25 juillet 2021.

Une procédure accélérée et une sanction disproportionnée

L’Observatoire pour la Liberté en Tunisie souligne que cette affaire n’a pas suivi le parcours classique normalement adopté dans les dossiers financiers, tels que le renvoi préalable à la Banque Centrale ou la tentative d’un règlement administratif.

Au lieu de cela, un mandat de dépôt a été émis rapidement, suivi d’un procès accéléré se soldant par une sanction particulièrement sévère.

L’Observatoire affirme que les peines prononcées – en termes de prison comme d’amendes – traduisent un manque de proportionnalité, et représentent une escalade injustifiée au regard des normes judiciaires appliquées dans des affaires similaires.

L’Observatoire pour la Liberté en Tunisie estime que cette affaire s’inscrit dans une tendance persistante de procès visant des personnalités publiques et d’anciens parlementaires, sur fond de profondes transformations politiques que connaît la Tunisie depuis 2021, et dans un contexte d’absence de garanties suffisantes d’indépendance de la justice.

L’Observatoire exprime sa crainte que les affaires de corruption financière ne deviennent un outil pour écarter des opposants politiques ou des hommes d’affaires non alignés avec les autorités au pouvoir, en particulier dans un contexte d’absence de contrôle parlementaire effectif et de mainmise de l’exécutif sur les décisions judiciaires et administratives.

L’Observatoire condamne le jugement prononcé contre Ridha Charfeddine, le considérant comme un indicateur alarmant de l’élargissement du champ de l’instrumentalisation politique de la justice financière.

Il rappelle que la lutte contre la corruption ne peut se faire par la sélectivité ou par des procédures judiciaires exceptionnelles, mais nécessite au contraire le respect de la loi, la progressivité des démarches et la garantie des conditions d’un procès équitable.

L’Observatoire appelle à :

  • La publication complète et transparente des motivations du jugement afin d’en informer l’opinion publique.
  • Le respect du droit à la défense et des procédures équitables dans les affaires de change et de transactions financières.
  • La fin de l’utilisation de la justice comme outil de règlement de comptes politiques.
  • Le respect, par l’État tunisien, du principe de séparation des pouvoirs et la garantie d’une indépendance réelle du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif.

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La Tunisie n’est plus l’exception arabe qui a inspiré le monde en 2011 avec une révolution héroïque qui a renversé le pouvoir de Zine El Abidine Ben Ali, qui a régné pendant près de 23 ans après avoir pris le pouvoir le 7 novembre 1987, lors d’un coup d’État contre Habib Bourguiba.

Dans une démarche similaire et peut-être plus dangereuse, dans la nuit du 25 juillet 2021, le président tunisien Kais Saied a réalisé un “coup d’État constitutionnel” conformément à son interprétation personnelle de l’article 80 de la Constitution révolutionnaire de 2014, annonçant qu’il avait pris une série de mesures exceptionnelles en raison du “danger imminent” qui menace la Tunisie, sans fournir de détails ni de raisons.

Conformément à ces mesures, Saied a limogé le gouvernement et le premier ministre Hichem Mechichi qui était présent au Conseil de sécurité nationale ce soir-là au palais de Carthage, et a affirmé avoir contacté le président du Parlement Rached Ghannouchi (chef du parti Ennahdha) pour le consulter conformément à ce qui est stipulé par la constitution, une affirmation que Ghannouchi a démenti puisque l’appel était général et ne comprenait rien au sujet des mesures exceptionnelles ou d’une quelconque consultation sur la question. Le président a suspendu le Parlement, puis l’a dissous en mars 2022, et ce, simplement quelques jours après avoir admis publiquement qu’il n’avait pas les capacités légales de ce faire, en réponse à une session plénière en ligne du Parlement lors de laquelle les députés ont abrogé les décrets publiés par Monsieur Saied depuis son coup d’État.

Non seulement Saied a cherché à contourner ses pouvoirs et les articles de la Constitution, qu’il a juré de protéger devant l’Assemblée des Représentants du Peuple, mais il a également démis de ses fonctions et modifié la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature après avoir redéfini le pouvoir judiciaire comme une “fonction” plutôt que comme une autorité indépendante. Il a également remplacé les membres de l’Instance Supérieure pour l’Indépendance des Élections en vue du référendum qu’il a organisé pour voter sur une constitution qu’il a rédigée lui-même après avoir rejeté les propositions du comité de rédaction qu’il avait lui-même nommé. Des élections législatives ont ensuite été organisées en deux tours, pour lesquelles le taux de participation n’a pas dépassé 8 % du nombre total d’électeurs, la Commission électorale annonçant par la suite qu’il avait atteint 11 %, soit le taux de participation le plus faible en Tunisie et dans le monde.

Le 11 février, le régime du président Saied a lancé une campagne de protestation qui n’a pas cessé depuis, contre des dirigeants politiques, des personnalités des médias, des journalistes, des juges et des hauts fonctionnaires, pour des accusations de “complot contre la sécurité de l’État et d’acte offensant contre le président de la République”, en plus d’autres accusations qui ont été transmises au parquet militaire, ce qui amène à s’interroger sur l’implication de l’armée tunisienne dans les actions entreprises par Saied.

Les arrestations arbitraires ont été entachées de plusieurs vices de procédure, ce qui a suscité des critiques de la part d’organisations internationales et d’observatoires de premier plan dans le domaine des droits de l’homme. Les normes relatives à la durée et aux conditions de litige et de détention n’ont pas été respectées. Les poursuites et le harcèlement se sont parfois étendus aux familles des détenus, et aucune preuve, et dans de nombreux cas, aucune accusation, n’a été présentée contre eux.

En outre, les syndicats et les partis politiques continuent d’être soumis à un harcèlement et à des restrictions, constants. Monsieur Saied continue de cibler tous les “corps intermédiaires” en les accusant de “collaboration” ou de “trahison”. Les associations de la société civile ont également fait l’objet de poursuites, d’arrestations arbitraires et de privation de représentation, dans un contexte de violence croissante au sein de la société due à l’adoption par les autorités de discours et de rhétorique racistes et discriminatoires incitant aux luttes intestines et portant atteinte à la dignité humaine.

Compte tenu de ce qui précède, nous, soussignés, demandons ce qui suit :

  1. La libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus politiques. Nous demandons également aux autorités tunisiennes de reconnaître les traités nationaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’elles ont ratifiés.
  2. Nous demandons aux autorités tunisiennes de cesser de démanteler la démocratie naissante et de mettre fin aux procès et aux poursuites inéquitables contre les opposants politiques au régime et contre toute personne qui le critique.
  3. Nous appelons tous les militants et observateurs à rejoindre le mouvement national pour le rétablissement de la démocratie et la fin du régime autoritaire qui a ramené la Tunisie au despotisme, à l’injustice et aux violations des droits et des libertés.